tremble d'un gargouillement mécanique et renvoie une incertaine mixture dans un gobelet de polystyrène blanc avec toute l'élégance aimable du garçon vacher crachant son chicot au pot du saloon. Il me vient l'image d'un Dean Martin alcoolique en manque, mettant la main dans un pot à crachats pour en extraire la pièce que l'on y jetât à son intention; et, sirotant mon café virtuel, je goûte aussi l'humiliation bien connue de ces attentes toujours recommencées par l'artiste désargenté au couloir du pouvoir, prêt à plonger la main dans tous les pots. Une secrétaire me retrouve. Partie sans doute à ma recherche avec empressement, elle m'informe d'un ton réprobateur de ce que son patron est arrivé et m'attend. "Faisons diligence", dis-je, comme pour relier sa hâte à mon égarement métaphorique dans l'univers sublime de Rio Bravo.

11h20. Le shérif de la culture française à l'étranger m'accueille d'un large sourire. Comment vas-tu et bla-bla-bla. Notre homme est affable, cravaté et bien portant. Sa chemise fait le même pli que la décoration murale du bureau : une invariable pendouillerie de gros feutre gris ¬ indolence et grisaille pourraient-elles avoir été délibérément choisies comme armes directoriales par l'AFAA ? Le trait d'humour serait alors excellent, mais la vérité est plus probablement que signes et symboles de la décoration ne
sont pas les soucis principaux de Jean Digne. Assieds-toi. Merci. Jean Digne a confié le dossier que je lui avais tantôt expédié, mobile à ma visite, à l'étude d'un certain Sanchez, nouvellement nommé conseiller théâtre à l'AFAA et que je dois connaître puisqu'il dirigeait jusque lors le théâtre de Sucy-sur-ou-en-je-ne-sais-quoi, banlieue parisienne. Je ne le connais pas. Milieu théâtral et banlieue de Paris comptent au nombre des réalités dont je suis le plus profondément ignorant. Le principal mécène de Boltanski semble surpris de mon ignorance, mais ne la commente pas. Il préfère m'expliquer que les départements du spectacle à l'AFAA, théâtre, danse et musique, ont été regroupés en un seul service. "Nous sommes en avance sur le plan Rigault", me dit-il fièrement. C'est à présent dans mon camp que frappe l'étonnement. L'ancien gauchiste d'Aix en Provence, devenu acteur culturel au service de l'Etat sous un gouvernement de gauche et maintenu dans ses fonctions par trois gouvernements successifs de la droite, se vante d'avoir pris de l'avance sur la politique culturelle proposée au Maire de Lourdes par le patron de RTL ... Voilà une bonne blague que ne renierait pas Les Grosses Têtes, émission phare de cette radio phare de l'excellence des arts et de la culture française. Mais pas plus qu'avec le design, Jean Digne ne paraît plaisanter avec le politique, et faisant cet invraissemblable constat, je crains bien qu'il fût
Fleche
Fleche