des rues dakaroises - c'est-à-dire qu'il ne l'a pas lu, qu'il n'en a pas pris véritablement connaissance, c'est-à-dire exactement qu'il n'en sait rien. Jean Digne, assis derrière son bureau, a entrepris de parapher quelques documents administratifs. Je regarde Sanchez agitant mon dossier devant lui, comme un panneau sous sa tête, et le titre inscrit à la première page, Poème à l'infect, semblant illustrer la figure du sérieux jeune homme, par le sens nouveau que cette superposition lui confère, me fait rire. Je pense à cet ami peintre qui me racontait la nuit dernière ses récentes explorations des soirées S.M., je pense particulièrement à ce type qu'il décrivait rester au milieu de la boîte à quatre pattes avec une bougie plantée dans l'anus et un écriteau fixé au cou portant l'inscription "gifflez-moi!". Sanchez explique que le dossier arrive fort tard, qu'il n'entre pas réellement dans les cadres de financement et qu'il sera conséquemment difficile de le prendre en compte. Pour connaître bien, par la force de l'habitude, le créole administratif, je traduis par "toi et ton dossier, allez donc faire un tour" et envisage de m'extraire au plus tôt de cette ambiance si feutrée pour effectivement aller boire un verre. Mais l'impeccable Sanchez tient à charger encore la barque. Il souhaite à présent, "et avant toute chose", faire quelques commentaires sur le seul aspect artistique du
projet, rangeant tous les autres - dont il n'a pas pris connaissance - ensemble confondus au rayon de la "générosité". Je dis : "il ne s'agit nulle part ici de générosité", j'entends le son de ma voix de volume augmenté et comprends que je ne me contiendrai plus longtemps. Mais Jean Digne n'a rien remarqué, il paraphe, et Sanchez non plus, trop occupé qu'il est à préparer ses effets de commentaires. Il ouvre le dossier à sa page de présentation du happening et commence. "Je voudrais revenir sur ce que vous décrivez de la mise en scène, je ne crois pas que ...". Sanchez arrondit les yeux derrière ses lunettes. J'ai suspendu sa phrase d'un geste de la main. Il a obéi à ce signe d'autorité, sans doute par habitude de l'obéissance, mais s'en trouve fort surpris. Je ne veux rien savoir, pas entendre un seul mot de ce qu'il pense de mon projet artistique. Je n'en suis pas curieux. Ce qui compte seulement : je suis dans le processus de réalisation d'un projet X dont la production est financée par trois structures culturelles étrangères désireuses pour leurs publics d'en recevoir bientôt le fruit. Afin de répondre à cette attente, je dois financer un volume de billets d'avion dont le montant global est de 88.000 FF. Je réclame donc de l'AFAA, dont c'est là l'unique mission, qu'elle aide à la diffusion à l'étranger du travail d'un artiste né en France. A ma demande, l'AFAA répond
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