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Body Media II
body media 2


Une exposition organisée par la Power Station of Art, Shanghai
28 avril - 30 juillet 2017

Avec :

Aaajiao - Avatar et Column
Sachiko Abe - Cut Papers (installation et spectacle)
Jean Michel Bruyère / LFKs - La Punition des violents (création)
Emmanuel Carlier - Temps Mort
Jalila Essaïdi - 2,6 g 329 m/s Bulletproof Skin
Mark Formanek - Shanghai Time (création)
Kurt Hentschläger - ZEE
George Hladik - Adrenalin
HU Weiyi - Pulp Landscape 6
Manon Labrecque - Apprentissage
Ulf Langheinrich - GHOST (pour la Matrice liquide 3D) et NO LAND IV 2.0 (créations)
Julien Maire - Men at Work (installation), Open Core (spectacle)
Till Nowak - The Centrifuge Brain Project et The Experience of Fliehkraft
One Life Remains - Les disciplines du rectangle
Christian Partos - The Sorcerer's Apprentice (pour la Matrice liquide 3D)
Sumito Sakakibara - Flow
Chiharu Shiota - Flow of Life (création)
Pilvi Takala - Real Snow White
Shiro Takatani - ST\LL (pour la Matrice liquide 3D)
Manuel Vason - photographies
Susanne Wagner - Self-portraits #3-4-5 et The Sculptor
François Willème - photosculptures (photographies)
John Wood and Paul Harrison - Unrealistic Mountaineers (dessins et vidéos)
Wu Juehui - Neural Nebula

Commissaires : Gong Yan (Power Station of Art) et Richard Castelli (Epidemic)


En 2007, je terminais mon introduction à la première édition de BODY MEDIA dont nous étions déjà les commissaires Gong Yan et moi-même par :

Toutes ces œuvres présentées pour la première fois en Chine confirment que les nouveaux medias ne tendent pas automatiquement à s’abstraire du corps humain mais peuvent jouer avec, jusqu’à repousser les limites de notre corps comme les nouveaux medias peuvent repousser les limites de l’Art.

En 2017, le monde s'est profondément modifié mais je ne changerai rien à ce texte.

Pour cette deuxième édition plusieurs pistes ont été empruntées. Certaines sont parcourues par un seul artiste, d'autres par de nombreux. Certaines œuvres auraient pu apparaître dans plusieurs de ces chapitres.

Le corps révélant

Le cinéma s'est servi et se sert toujours de l'incapacité de l'être humain à voir au-delà de 25 images par seconde alors qu'il lui faudrait 200 images à la seconde pour entretenir l'illusion d'un mouvement continu devant une mouche.

Dans BODY MEDIA II, il y a des œuvres qui ne peuvent être pleinement ressenties par les visiteurs que grâce à leur incapacité à discerner des événements lorsqu'ils se succèdent à trop hautes fréquences, comme ST\LL de Shiro Takatani et GHOST d'Ulf Langheinrich, tous deux pour la Matrice liquide 3D. Il y aussi des œuvres comme ZEE de Kurt Hentschläger, dans laquelle les images sont remplacées, dans un environnement nébuleux, par des stimuli lumineux dont le cerveau, machine à créer des images voire des univers, doit se contenter pour reconstituer ce pour quoi il excelle : un environnement cohérent, une "réalité" pour son propriétaire qui, du coup, est propre à chaque visiteur.

Ces œuvres, ainsi que la création monumentale et hypnotique NO LAND IV 2.0 d'Ulf Langheinrich et le jeu de lumière corticale de Wu Jue Hui font partie du chapitre "Le corps révélant".

Le corps remplacé

Flow of Life de Chiharu Shiota nous rappelle qu'il n'a pas été attendu certains courants des arts médiatiques et leurs avatars pour remplacer ou représenter le corps par un objet. Depuis plusieurs siècles, la relation intime entre lit et corps a fait que cet objet usuel est devenu comme elle l'écrit, le symbole du début et de la fin de l'existence. Le lit vide est le symbole de son absence mais aussi a été souvent assimilé au corps lui-même et dans le cas de Flow of Life, ces lits peuvent également être ressentis comme autant de corps en ascension.

Le corps augmenté

Cela fait aussi bien longtemps que les êtres humains ont appris à augmenter leur corps : par l'exercice assidu de pratiques sportives ou guerrières mais aussi par les outils qu'ils ont créés pour prolonger ces corps. Outils qui ont fini par les façonner en retour et ce jusqu'aux technologies les plus récentes, ainsi qu'un transhumanisme qui rode. Jalila Essaïdi, par son statut d'artiste a reussi à faire dialoguer des scientifiques qui, du fait de leur spécialisation, n'auraient probablement jamais collaboré et même penser à le faire. Le résultat est une peau arachnéo-humaine qui résiste à un impact d'une balle de 2.6 g à 329 m/s.

Le corps restreint

One Life Remains essaie de vérifier jusqu'où va la capacité de l'être humain à suivre une quelconque autorité, quand bien même elle émane d'un ridicule rectangle blanc.
Il faut espérer qu'un maximum de visiteurs ne s'y laissera pas prendre. Le contraire serait inquiétant pour le futur de la civilisation.

Le numérique rendu au corps

Quoi de plus numérique qu'une horloge avec ses digits aux sept barres. Mark Formanek s'emploie à restituer son fonctionnement par les seules force et sueur humaines. Retournement de situation qui implique que, pendant 24 heures sans interruption, un groupe de constructeurs bâtira, démontera et rebâtira l'heure manuellement, toutes les minutes. L'ensemble sera filmé aussi sans interruption et deviendra une horloge "manuelle" qui se synchronisera à celle de l'ordinateur où son application sera chargée.

L'espace, le temps et le corps

S'il y a bien un objet sensible à l'espace et surtout au temps, c'est le corps lui-même. Les êtres humains n'ont eu de cesse de chercher à échapper à l'empreinte du temps sur leur corps.

En 1993, à la lecture d'un texte de Stéphane Zagdanski, envisageant la possibilité de la mort du temps, Emmanuel Carlier a une révélation et essaie de traduire sa vision d'un temps mort, en substituant à sa translation naturelle celle de l'espace. Pour cela, il enregistre un instant comme le fait la photographie mais selon une cinquantaine de points de vue simultanés qui, lorsqu'il sont parcourus, lui rendent cette dimension spatiale. à cet instant.

Mais il n'est pas le premier à utiliser un cercle d'appareils photos. En effet, dès 1859, pour des raisons bien plus pratiques (il s'agissait alors de trouver une solution pour abréger le temps de préparation d'une sculpture ainsi que le temps de pose des modèles), le sculpteur et photographe François Willème decidait d'entourer ses modèles de 24 appareils photo synchronisés et à partir de ces 24 clichés et de plusieurs pentographes, il restituait la forme de ces modèles à différentes échelles selon le pentographe choisi.

En fait si Emmanuel Carlier annonçait le film et "l'effet" Matrix, six ans avant sa réalisation, François Willème annonçait le scan et l'imprimerie 3D, avec 150 ans d'avance.

Comme ce qui pourrait presque ressembler à une synthèse des deux précédents artistes et à l'aide de ces deux fameuses technologies 3D, Julien Maire sculpte différentes étapes du mouvement d'un terrassier et les place en enfilade sur un ruban qui tient lieu de pellicule. Le visiteur perçoit chacune de ces sculptures 3D à la fois comme objet unique et comme un élément de leur projection en 2D.

Une autre façon pour les humains d'échapper au temps et à l'espace, est d'imaginer un Au-delà : un paradis peut-être mais aussi un enfer. Après l'une des Métamorphoses d'Ovide, La tragédie d'Actéon, présentée à BODY MEDIA en 2007, Jean Michel Bruyère / LFKs illustre six des Chants qui décrivent le septième cercle de l'enfer dans La Divine Comédie de Dante Alighieri.
Chaque Chant a son propre film. À gauche : une descente d'escalier interminable, à droite, pour quatre des Chants : le déploiement spatial et temporel d'un boxeur à l'entrainement et au centre : plus d'une douzaine de cylindres dans le désert, receptacles de la folie ? de la possession ? de jeunes adultes sous le regard d'un âne détaché dans les deux sens.

Sachiko Abe a choisi une voie plus manuelle pour s'abstraire du mouvement du temps : elle découpe du papier. Inlassablement et avec une maîtrise confondante, d'une feuille, elle fait un fil qui se répand autour d'elle. Figure angélique ou manifestation d'un autisme troublant, alors que les Parques de la Rome antique se jouaient de la vie des hommes en tranchant le fil de leurs destins, Sachiko Abe leur crée peut-être de nouvelles destinées.

Portraits - Autoportraits

Une dimension qui n'avait pas été exploitée lors de BODY MEDIA en 2007, à part dans MODELL 5 de Granular-Synthesis, c'est la représentation du corps à travers le portrait ou l'autoportrait. Bien sûr, pour BODY MEDIA II, il n'était pas question de se contenter de tableaux classiques, même s'ils utilisaient la video ou l'image numérique. C'est pourquoi des narrations inattendues ou des mises en situation dramaturgique qui ne peuvent être permises que par un media temporel ont été favorisées.

John Wood and Paul Harrison doivent se mettre à deux pour faire leurs autoportraits. En se démarquant des autres duettistes anglais Gilbert & George, ils créent des situations où leurs corps subissent plus les objets alentour qu'ils ne les maîtrisent.

Dans son autoportrait, Manon Labrècque inverse la relation corps-ombre en devenant l'ombre de sa trace laissée sur un mur.

FLOW est le portrait d'une femme dont toutes les étapes de sa vie, de la naissance à la vieillesse, sont présentes simultanément sur le "tableau" que compose Sumito Sakakibara.

ADRENALIN : curieux autoportrait que celui de George Hladic qui y "organise" son accident de voiture en temps réel et qui semble ne prendre conscience de ce à quoi il a échappé que bien tardivement. Un selfie qui, comme pour certains, chaque année, aurait pu tourner mal.

Real Snow White de Pilvi Takala est une réflexion sur la réalité de la représentation. En visite au parc Eurodisney, l'artiste habillée en Snow White qui se retrouve très vite arrêtée par le service de sécurité du parc pour le motif qu'elle n'est pas la "vraie" Snow White. Elle aura beau expliquer avec une naïveté feinte, pendant qu'elle signe des autographes aux enfants alentour, que la vraie Snow White est un personnage de dessin animé et que leur Snow White officielle n'est pas plus vraie qu'elle-même, elle sera sommée de reprendre une tenue civile.

Susanne Wagner pratique les deux disciplines de la dernière thématique. Trois de ses huit autoportraits sont présentés ici : La tempête, qui nous rappelle le théâtre de "pièces à machine" du XVIIe siècle, Au bureau où elle se démène au milieu de tous les objets usuels que l'on trouve dans une officine et qui semblent avoir leur vie propre, comme les éléments de l'œuvre que La Sculpteuse parait attirer à elle avant de les positionner méticuleusement.
Dans le portrait en triptyque Le Sculpteur, il s'agit plus d'une manipulation de la perception de l'espace dû à la présence de la sculpture, ici un ensemble de tiges de couleurs jouant le rôle de trompe l'œil abstrait, que le sculpteur assemble sous forme d'un Mikado géant, qui serait ordonné à cet effet.

Au contraire des valises de Tulser Luper imaginées par Peter Greenaway qui ne contiennent que des compilations d'objets recueillis par leur propriétaire tout au long de sa vie, les sept valises de Hu Weiyi combinent une représentation de lui-même à travers des objets de son quotidien et une évocation de l'histoire de l'art. Ces sept valises sont aussi autant de petits théâtres dont le résultat de leur activité est projeté sur l'écran correspondant à chacune de ses valises. Le visiteurs peut donc voir simultanément les projections, mécanismes et optiques qui les produisent, le procédé et le résultat. Nous retrouvons un peu des "pièces à machines" décrites précédemment chez Susanne Wagner mais en version transportable, ce qui est le moins que nous puissions attendre de valises.

Manuel Vason est peu intéressé par la relation classique photographe-modèle. Il préfère toujours "collaborer" étroitement avec ses "modèles", qui sont pour la plupart des artistes, et c'est ensemble qu'ils créent un événement spécial pour la caméra. Il est heureux qu'il ait croisé une des artistes présentes aussi dans BODY MEDIA II, Sachiko Abe. Une series de portraits en a été tirée, dont l'un sera visible dans cette exposition.

Aaajiao propose ce qui est peut-être l'expression la plus simplifiée de ce qui est déjà l'expression simplifiée d'un portrait : l'avatar. Et son grossissement ne fait qu'amplifier cette simplification.

Le dernier portrait de la série a été réalisée par Till Nowak. Il s'agit d'un reportage sur le fondateur de l'Institute for Centrifugal Research qui permet de découvrir sa carrière, ses succès mais surtout ses échecs qu'ils ne semblent d'ailleurs pas reconnaître: "We never made mistakes..., the mistake is the nature..., Gravity is the mistake..." Le documentaire est accompagné du plan et de la vidéo témoin de sept des réalisations des membres de cet institut qui ne trouva qu'un propriétaire de parc d'attraction pour le financer, et c'est donc à travers ces attractions qu'ils purent expérimenter leurs théories.

 

De notre côté, plus humblement, nous espérons ne pas avoir fait d'erreurs avec cette exposition même si nous avons, nous aussi, essayé d'y réparer plusieurs fois celle de la Gravité, et que nous avons aussi tenté de vous faire échapper le plus souvent possible aux autres erreurs de la Nature : le Temps, l'Espace et la Réalité.

Je me garderai bien, cette fois-ci d'une phrase de conclusion, de crainte que celle-ci ne traverse moins bien les années que la précédente.

Richard Castelli