Poèmes à l'Infect © Emmanuel Valette
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UN SPECTACLE
Le risque qu'encourt un spectacle dont les acteurs sont des enfants de la rue est celui de les utiliser, davantage qu'il ne les sert. Il participerait ainsi de cette fâcheuse tendance actuelle qu'ont le théâtre et même le cinéma européens à parfois considérer comme acteur idéal, bien plus émouvant qu'un acteur professionnel, toute personne souffrant d'un handicap physique, mental ou social. Une certaine esthétique de la misère semble désormais chercher ses formes; nous ne projetons pas de la soutenir. Mais pour ne pas s'y employer malgré nous, il sera nécessaire de marquer avec elle une distance radicale, manifeste. Le spectacle Poèmes à l'infect n'aura de spectacle, au sens habituel, que le nom. Voici comment cela pourrait se dérouler :
d'un lieu qui serait une sorte d'extérieur à l'intérieur - c'est-à-dire, puisque c'est leur définition même, à peu près tout bâtiment public et entre autres un théâtre (mais non pas seulement sa salle : le bâtiment entier) - les enfants seraient les hôtes. Ils inviteraient eux-mêmes le public à y pénétrer (ils pourraient même refuser certaines personnes pour des raisons qui leur appartiendraient, montrant ainsi que la maison est bien la leur). Séparant le public en plusieurs groupes peu nombreux, ils feraient visiter leur maison, installeraient provisoirement tel groupe dans tel endroit, avec un vrai souci de son confort, avant que de l'emmener encore ailleurs. Dans la marche ou au cours des stations, ils parleraient d'eux, se raconteraient par petits bouts, joueraient des fragments d'histoires, de situations, de textes, de musique, de chant, projetteraient des morceaux de films. Ils diraient et montreraient seulement ce qui serait nécessaire à laisser apparaître d'eux-mêmes ce qui ne peut ni se dire ni se montrer mais se sentir. Ils offriraient à boire, à manger, peut-être même parfois un peu d'argent, pour rembourser un billet d'entrée; tout porterait sur la qualité du moment, son calme, son hospitalité. Sur fond de réflexion sur la maison. A un moment de leur parcours guidé par les enfants, sans l'avoir compris, les spectateurs se retrouveraient dehors, dans la rue, par une quelconque porte inattendue. Les enfants leur feraient un petit signe d'adieu avant que de refermer la porte. Peu de choses en somme, juste ce qu'il faut pour avoir le sentiment d'une rencontre, non pas avec un enfant des rues, mais avec un enfant, une vraie personne. Pour devoir réfléchir à "ce qu'il s'est passé", se souvenir de son visage, de sa voix, de sa manière de geste, de la force de sa présence.
Cette présentation du projet est bien sûr simplifiée à l'extrême, mais l'idée est là et c'est partant de cette idée que peut-être finalement beaucoup de choses pourront se passer, avoir lieu dans ce lieu qui serait celui de l'enfance sans lieu.
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