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jean michel bruyere lfks
Phase V
Phase V Phase V active un lieu cylindrique, entièrement ceint des écrans supports de projection vidéo et des sources de diffusion sonore. Dans un espace non-distinct de celui des artistes (musiciens et actrices), le spectateur est en immersion visuelle et sonore ; entièrement envahi, il appartient à l’image et au son, qui font aussi parties de son corps. Malgré les contraintes technologiques, l’espace requis par Phase V devra établir dans les sensations qu’il produit quelque chose de la brutalité des espaces naturels. Parfois par l’image, à d’autres instants par le son ou l’obscurité, il évoquera la forêt profonde, la sauvagerie, le danger d’un milieu secret et non maîtrisé.

Comme de tout opéra, la musique est de Phase V l’élément constitutif principal. Bien qu’utilisant toutes les ressources de la conception assistée par ordinateur, la synthèse ou l’échantillonnage numérique, ainsi que différentes techniques d’interfaçage ou de spatialisation sonore, sa construction observera les règles ancestrales de la musique furieuse, celles situées à l’origine même de la musique opératique.

Elle sera composée de deux phases principales, phases 5.1 et 5.2, réunissant les quatre “fureurs” originelles : fureurs érotique, prophétique , télestique (phase 5.1), consacrées aux sensations, vouées à la transe et à l’agitation, à la violence et au chaos, et la fureur poétique (phase 5.2), rendue à l’émotion, à l’esprit et à l’introspection. Malgré une construction en phases successives et parce que celles-ci seront liées entre elles par un principe de glissement continu, la musique prendra l’apparence d’une seule longue pièce ; ses mouvements seront intérieurs et non immédiatement perceptibles en tant que parties dans la composition d’une totalité sonore.

Renouant à sa façon avec l’enthousiasme ivre de la cérémonie dionysiaque, le chant, produit par des machines, agira en transmutation directe du cri et de la parole. Phase V ne sera donc pas interprété par des chanteurs ou chanteuses mais par des actrices (seulement des actrices et pas d’acteur, pour une représentation des Ménades, comme personnages originels, anthropophages et donc capables de se transfigurer en de nombreux autres corps, y compris masculins). Le jeu, libéré des contraintes de la production permanente de chant, pourra développer une plus grande théâtralité, ajoutant à l’ensemble du préopéra un élément constitutif supplémentaire puissant, généralement interdit ou seulement partiellement accompli dans la forme opératique.

Le chant (assisté) ne sera pas porteur d’un sens, ne suivra aucun livret, ne sera subordonné au développement d’aucune histoire. Il ne sera plus le véhicule du dit ; son rôle habituel de “supraconducteur” du sens sera refusé à la voix. Elle sera rendue à la musique et à l’énergie, elle redeviendra une valeur musicale et scénique parmi les autres.
L’élément textuel, qui apparaîtra au cours de la phase 5.2, sera porté par la vidéo qui l’emploiera d’abord dans sa valeur de matière essentiellement rythmique, sous forme de projections asservies à la musique. Les ensembles de mots et de phrases projetés auront pour fonction de raccorder in fine les sensations reçues tout au long du préopéra à une opération de l’esprit, offrant a posteriori l’éclairage non pas d’un sens, mais de plusieurs sens possibles à la succession des états préalablement vécus par le spectateur.

Support donné au verbe, l’élément vidéo ne lui sera pas pour autant asservi. Son corps essentiel se développera, ailleurs et avant, en images autonomes et omniprésentes, jamais fictionnel ni illustratif principalement établi dans l’ordre du sensoriel, dégagé aussi de tout devoir à représenter un monde concret. Comme tous les autres éléments constitutifs du préopéra, celui vidéo procédera de la réitération, progressera en variations insensibles sous un phénomène de glissement.
Phase V s’achèvera dans un calme épuisement des sens. Sans morale ni épilogue, sans point final raisonné, il se terminera pour ce qu’il ne pourra plus durer, pour ce que sa présence aura touché aux limites de l’endurable.